Il y a quelques années, en cherchant un lieu « magique » pour faire une série de photographies de mode, je me suis trouvé seul sur les grandes dunes du sud Maroc.

La lumière était violente et aveuglante, trop forte, trop haute, coupante. Les dunes s’étendaient à l’infini, énormes, magnifiques, comme sculptées par le vent. Ça a été un choc, un choc visuel mais aussi un choc de solitude d’infiniment grand et infiniment seul. Cette impression m’est revenue parfois, dans le désert, sur la mer, dans ces espaces vides et gigantesques où parfois l’homme vient laisser une trace ou une piste.

Avec ma femme qui est peintre nous voyageons en Afrique pour son travail ; il y a deux ans, je suis parti avec un Rolleiflex 6x6 et un Hasselblad.

J’ai commencé mes photographies de paysages, l’œil attiré par la ligne d’horizon : la séparation entre la terre et le ciel, là ou le regard s’arrête.

J’ai retrouvé cette sorte d’exaltation d’il y a quelques années, cette rencontre avec l’espace et la lumière.

L’idée d’en faire ma première exposition n’est venue qu’après, Alors que j’ai toujours photographié des lignes courbes, des visages, des personnages, des gens en action, ce sont ces lignes droites, ce calme presque abstrait, ces espaces, que j’ai eu envie de partager, et de montrer.

Pour les arbres, j’adore les arbres et les baobabs sont des arbres particulièrement majestueux, posés et imposants. Ce sont des ancêtres.

J’ai eu envie de leur tirer le portrait.

Ils sont en général nus puisque les gens mangent leurs feuilles, ils sont là depuis toujours ou presque comme ces immenses paysages.

Au Burkina Fasso la légende dit que Dieu, un jour de colère contre les hommes a lancé un arbre sur la terre. Les branches que nous voyons sont en fait les racines du baobab.

C’est comme pour les lignes d’horizon, parfois on pourrait retourner la photo.

Jérôme Tisné

« D’abord il n’y a rien, puis il y a un rien profond, ensuite il y a une profondeur bleue. » C’est en effet à cette avancée du regard dans l’infini, jadis décrite par le philosophe Gaston Bachelard, qu’invitent les photographies de Jérôme Tisné. Plus que des lieux géographiques assignables sur une carte (Egypte, Namibie, Mali, Burkina Fasso, Grèce ou France) les territoires traversés par le photographe se déréalisent au bénéfice d’une quête éperdue d’un choc originel : lorsque l’immensité du sol qui s’étend à perte de vue prolonge une éternité géologique ; lorsque l’espace et le temps se confondent dans l’éblouissement d’une pure lumière.

On le sait, la Peinture s’évertue depuis plusieurs siècles à saisir l’insaisissable quitte à devenir « abstraite » ; et l’on ne s’étonnera pas, devant la quasi dissolution des figures dans la clarté solaire, de songer aux plus audacieuses aquarelles de Turner. Mais outre le vertige de la couleur, le réel ne cesse ici de hanter la scène : il y était, Jérôme Tisné devant cette ligne de terre et ce plan d’eau même si, sans son regard, on n’aurait su les voir ainsi ! Là est la force des images captives de l’appareil. Redevables à l’œil singulier du photographe, elles n’en renvoient pas moins à l’ici et maintenant de leur prise. Ce poids de réalité, loin de ramener l’anecdote, décuple l’imaginaire des photographies de Tisné. À l’appel des lointains se mêle l’ivresse d’un pur azur.

Passant anonyme de la ville bruyante et pressée, puisses-tu entendre l’écho silencieux de cet incommensurable Ailleurs ! Puisses-tu ralentir ta course devant ces fragments d’infini et ces moments d’éternité !

Michel Makarius